Voyage en Russie

À la sortie de l’aéroport, nous sommes attendus par le chauffeur, celui du vrai taxi partagé. Sa chevelure blonde et fine est entièrement peignée direction visage. Brigitte est ravie. Elle nous assure que, contrairement à toutes les idées reçues, ce sont les hommes russes, et non pas les femmes, qui enchantent avec leur beauté, vu leurs corps musclés, leurs bleus yeux languissants et leur tenue bien étudiée. C’est-à-dire si ce ne sont pas des alcooliques aux vêtements sales et aux gras cheveux, qui sombrent sous les ponts de St. Pétersbourg, leur nez rouge et gonflé. Ou parfois, quand il s’agît de messieurs plus réveillés, ils se hurlent et à se tapent dessus, histoire de s’assurer que les nuits blanches le sont aussi pour les voisins.

De leur côté, les femmes russes, les jeunes du moins, ont des silhouettes toujours très fines, et elles se montrent très volontaires quand il s’agît de les mettre en valeur. Même avec ses shorts super-shorts, qu’elle a emmené exprès pour l’occas’, suivant les conseils d’une copine des pays de l’Est qui s’y connaît, elle n’est pas à la hauteur, Brigitte. Quand elle montre la jambe entière, les Russes, elles, ajoutent au moins la moitié des fesses. Et ça ne manque pas son effet. Fabien va vite abandonner la photographie des monuments pour privilégier les merveilles de la mode locale et celles qui la portent. L’avarice des Russes en matière de textile est compensée avec une grande générosité côté maquillage. Et des tas de dames ne lésinent pas non plus sur les talons, sans pour autant maîtriser toujours la marche.

C’est qu’elles n’ont pas le choix : tous les avantages qu’elles ont, les Russes, elles sont forcées de les mettre en avant le plus jeune possible, coûte que coûte, écrit notre guide. Avec les ravages que fait l’alcool dans ce pays, il y a une vraie pénurie d’homme épousables. Or, le pire des statuts pour une femme en Russie, c’est celui de vieille fille. Et là, on y arrive très vite, 24 ans sans homme et hop, on y est : questions gênantes lors des fêtes de famille, embarras de la maman, chuchotements des voisins et des collègues de travail, la bouche cachée derrière la main, feinte pitié des copines armées de bons conseils. Si l’on veut éviter tout cela, il faut tout faire pour susciter l’attention des rares hommes acceptables, c’est l’unique manière de s’imposer dans cette foule de belles femmes en talons et très petite tenue, insiste notre guide.

Cette histoire me rappelle les petites annonces dans les journaux gratuits ciblant les immigrés russes en Allemagne, que j’aimais lire il y a quelques années pour pratiquer la langue. « Cherche une blonde compréhensive pour créer un lien d’amour. J’ai 24 ans et je suis au chômage », écrivait un jeune homme en quête du bonheur. « J’ai 200 000 Euros de dettes et j’étais en prison récemment. J’espère que ce n’est pas trop grave. » Ou encore une mère célibataire qui notait : « Trentenaire avec jeune enfant cherche homme normal pour relation. » Elle ne jugeait pas redondant de bien préciser, « pas d’alcooliques ni d’idiots, ça va de soi. »