Notre appart, c’est un deux-pièces pas loin de la place Sennaya, là où Raskolnikov errait, où il rencontrait des prostitués, des ivrognes, des petits marchands, où il plaidait sa cause avec lui-même en gesticulant, un peu comme Brigitte, j’imagine. Est-ce qu’il n’avait pas le droit de tuer la prêteuse sur gage, puisqu’elle était vilaine, et que son argent aurait servi la bonne cause ? Est-ce que ce n’était pas son devoir de prendre les choses en mains, comme tous les grands hommes, comme Napoléon, par exemple, ou lui-même, Raskolnikov, pour le bien du monde, même si cela impliquait des transgressions, peut-être même un crime ? Mais si c’était ça, pourquoi ces remords ? Pourquoi cette souffrance ?
A la limite, elles auraient pu habiter ici, dans notre bâtiment, la vilaine prêteuse sur gage et sa pauvre sœur. Le Chéri regarde autour de lui. Il est beau ce petit deux-pièces, bien rénové, lumineux, parquet. Qu’est-ce qu’un jeune couple serait bien ici, en plein centre-ville.
Ah, mon Dieu ! Mais comment n’a-t-on pas pu le voir avant ? On fait exploser les prix pour les Pétersbourgeois qui voudraient la belle vie en centre-ville, on vole leur espace ! Mais pourquoi on ne s’est pas logé dans un hôtel, comme il convient à un touriste ? Le Chéri attire mon attention sur le fait que les hôtels réduisent l’espace pour les logements tout autant que les appartements loués aux touristes. Mais comment n’a-t-on pas pu penser à tout ça ?
Ça me rappelle un graffiti à côté de l’arrêt du bus qui emmène les touristes du centre de Vienne à l’aéroport. « Sale touriste », disait-il, « toi qui détruis les prix, qui chasses les Viennois du centre-ville, qui écrases les petits commerces avec ton consumérisme. Tu ne vas pas t’échapper, puisque ton minable petit bed &breakfast sans âme sera ta prison, et quand tu retourneras à la maison, ton travail sera tout aussi ennuyeux qu’auparavant.»